Accueil
Envoyer à un ami
Imprimer
Grand
Petit
Partager
INTERVIEW

Bachirou Amadou Adamou : « les Nigériens doivent être sincères avec eux-mêmes »


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 11 Mai 2016


À l’occasion de la parution de son ouvrage « Niger, examen de conscience », le juriste engagé, ressortissant du Niger, nous a accordé une interview exclusive.


Bachirou Amadou Adamou : « les Nigériens doivent être sincères avec eux-mêmes ». Crédit photo : Sources
Bachirou Amadou Adamou : « les Nigériens doivent être sincères avec eux-mêmes ». Crédit photo : Sources
Que doit-on retenir de vous?

Je suis AMADOU ADAMOU Bachirou, observateur attentif de l’évolution du processus démocratique Nigérien et de l’animation de la vie politique dans ce pays dont je suis un citoyen. Diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature du Niger, j’ai entamé des études de droit aux universités de Nantes et de Toulon. Je suis attaché de recherche au centre de droit et de politique comparés J.C.Escarras de Toulon où je prépare une thèse en droit public portant sur « les rapports entre la Cour de justice et les juridictions constitutionnelles des Etats membres de la CEDEAO en matière de protection des droits fondamentaux » afin de mettre en lumière l’étude de la promotion des droits humains en Afrique depuis l’ouverture démocratique des années 1990 et d’en faire la genèse.

Je suis par ailleurs membre de l’association « Avocat sans Frontières » et fondateur de l’association « JUSTICIA MONDE » une association de défense des victimes des procédures judiciaires anormalement longues et de la promotion du droit au juge dans le monde.

Depuis peu, je m’intéresse au débat public notamment celui touchant le processus démocratique en cours au Niger et en Afrique, auquel j’essaie d’y prendre activement part en tant qu’intellectuel engagé.

Pourquoi avoir écrit ce livre et pourquoi maintenant?

J’ai commencé à écrire ce livre il y a quatre (4) ans, mais mes activités de recherches m’ont contraint à suspendre le projet avant de le reprendre l’année dernière. Ce livre, vous l’avez remarqué met en lumière un système politique jugé défaillant du fait de l’incrédulité du personnel politique lui-même. D’un côté, la genèse de ce livre est quelque peu particulière, puisqu’elle met à la charge des animateurs de la vie politique nigérienne pas moins de dix (10) chefs d’accusations. De l’autre, je suppose qu’elle peut être considérée comme un développement logique, puisqu’elle reflète une réalité socio-politique qui requiert de toute urgence des solutions concrètes.

La pratique politique en cours dans notre pays se fait contre la volonté des Nigériens, qui, pour beaucoup d’entre eux, éprouvent un sentiment de malaise et d’impuissance et ont du mal à comprendre leurs élites dans ce qu’il est convenu d’appeler l’ « entreprise politique ». Pourtant, il fallait de mon point de vue, relever sans ambages, les visions locales étriquées et sans lendemain sur lesquelles se cramponne depuis des années la classe politique nigérienne. Du plus loin que l’on puisse regarder, le Niger a toujours été un terreau de crises politique et institutionnelle, rendant ainsi l’espoir d’un avenir meilleur de plus en plus mitigé. C’est pourquoi, Il va nous falloir prendre la mesure de la situation qui est aujourd'hui celle de la mondialisation qui nous impose des alternatives autres que celles que l’on a pu voir jusque là à l’oeuvre.

Donc pour répondre à votre question, c’est le constat de l’attitude de certains intellectuels nigériens, qui consiste à refuser les différences idéologiques au détriment du dialogue politique national et de la paix sociale ; les triomphalismes, les rancœurs politiques, les peurs qui ont remplacés le courage, la dignité, la foi et l’espoir dans un Niger où la fraternité, le travail et le progrès constituent la divise. L’orgueil national, la flamme patriotique, le sens de l’Etat et du devoir s’amenuisent de jour en jour au Niger, tandis que le nouveau discours politique tourné vers le régionalisme et l’ethnie renforce les peurs. Ce qui m’amènent à écrire cet ouvrage dans lequel j’appelle à une prise de conscience collective pour vaincre ces peurs et construire ensemble, à partir d’aujourd’hui notre pays, plutôt que de prendre part du fait de nos triomphalismes et nos rancœurs à la destruction de notre propre nation, de notre effort de développement, de l’édifié, du bâti.

Mais pour y arriver, il nous faudra procéder à un bilan politique dont le point de départ serait l’avènement de la démocratie en 1990, ce qui nous permettra d’extirper de notre pratique politique les tares dont le Niger a horriblement souffert à cause de ses hommes et femmes politiques. Cet ouvrage indique simplement le peu de clairvoyance politique de la classe politique nigérienne dans son ensemble et le résultat est aujourd'hui patent : le Niger est encore à la traîne alors que le monde est à la croisée des chemins. Plutôt que de prendre la mesure de la situation, de rassembler les compétences, les idées, les énergies et faire face à la réalité, les hommes politiques se retranchent dans des positions politiques et s’engagent dans des diatribes stériles, s’accusent mutuellement pour qu’ enfin de compte personne ne veuille s’assumer, laissant ainsi les vrais problèmes de l’heure.

De quel droit dressez vous, comme vous le faites dans votre livre, un véritable réquisitoire contre la classe politique nigérienne ?

Devrais-je vous faire remarqué que mon ouvrage est un essai qui, par définition est une œuvre de réflexion polémique exposée de manière personnelle, voire subjective ?

Le peuple nigérien n’a aucun problème avec lui-même. C'est la classe politique qui entend défendre ses intérêts et les préserver qui doit se rendre compte de ses errements.

Il faut reconnaître, honnêtement, que l’élite intellectuelle et politique créée la confusion et participent au maintien de la désunion entre les Nigériens. En c sens, la classe politique a eu le mérite d’avoir fabriqué politiquement une nation déchirée en dressant les fils d’un même pays les uns contre les autres. C’est dans ce projet funeste qu’une certaine élite intellectuelle est très souvent mise à contribution. On peut remarquer une certaine presse qui doit sa survie aux caricatures évasives, à la diffusion du mensonge, la diffamation d’hommes politiques au détriment de l’éthique et de l’honnêteté intellectuelle auxquelles elle est normalement tenue. Voici des journalistes qui gagnent gracieusement leur vie en se dévouant non pas pour la cause nationale mais pour une cause politicienne, celle qui consiste à étaler sciemment des allégations éthérées. C’est cette catégorie d’intellectuels qui met à mal l’effort de construction nationale, la cohésion nationale et le vivre-ensemble. Elle procède le plus souvent par l’incitation à la haine, au mépris des Nigériens les uns des autres sans être inquiétée par une quelconque procédure judiciaire et se sent dés lors intouchable. Et pourquoi ? Parce qu’il existe toujours un ange protecteur, une main invisible, un soutien politique sur lequel elle pourra compter. Aujourd’hui au Niger, on parle même d’une presse de l’opposition et d’une presse de la majorité, il n’y a pas de presse du peuple. Et pour cause, toute la propagande médiatique ne fait que cela. Il faut arrêter cette subversion, même si elle est lucrative car elle risque de nous conduire à notre perte.

J’ai l’impression que les acteurs politiques oublient totalement qu’il y a une jeunesse et tout un pays qui attendent d’être rassurés, soutenus, éclairés, d’être mis face à leur responsabilité et surtout portés par l’espoir d’un avenir radieux. Plutôt que de travailler à rassembler les citoyens autour de l’idéal patriotique, la classe politique a préféré les diatribes, les querelles, les triomphalismes, les rancœurs au dialogue politique. Pourtant, le Niger doit réussir dans le contexte actuel de la mondialisation avec le soutien de tous ses habitants, l’effort collectif devra permettre au pays de se retrouver sur la stabilité politique et démocratique où il n’y aurait pas de gagnants et de perdants. Or le guéridon politique nigérien est dominé, comme dirait mon maitre à penser, le Professeur Obenga, par l'intransigeance, l’intolérance, l’indiscipline collective, la haine humaine et politique, le refus du contradictoire, le refus du respect de l’Etat et de ses lois, l’entêtement dans le mal, le mépris hautain de l’adversaire politique, l’égoïsme renforcé par un narcissisme inconscient. Ce qui explique la forte propension au dénigrement et à l’injure. Le Niger est incontestablement friand des grandes idées générales pour faire face aux exigences de la mondialisation accélérée. Le Niger doit sortir du rang de relégation, c’est un aveuglement incroyable que de se croire seul fondé à atteindre les objectifs de développement d’un pays en excluant certains concitoyens pour leur idéologie ou leur choix politique. C’est pourtant le propre de la classe politique nigérienne selon la coalition au pouvoir.

Si la démocratie présente l’avantage d’être le sytème politique à même de permettre le débat d’idées, le contradictoire, la transparence dans la gestion de la chose publique, la liberté de l’information, au Niger, ce système s’entend par la gestion patrimoniale et clanique du bien public, entraînant dans le même temps une opacité de la gestion publique. La pensée politique nigérienne est donc fondée non pas sur la force morale qui pousse au respect des droits d’autrui mais sur le droit de la majorité politique.

Le plus inquiétant, le culte de l’argent déifié a fait aujourd'hui de la corruption un phénomène socio-politique global au Niger. L’approche que nos concitoyens ont de la politique est entrain de vider le pays de son dynamisme et entrain de fragiliser les relations humaines. La raison critique raisonnante a été formalisée sous des lois éparses pour mieux contenir les critiques, la vigilance intellectuelle que l’on voudrait réduire au seul angle politique est entrain de vider nos universités de leurs ressources humaines prêts à œuvrer aux côtés des politiques qu’aux côtés d’une génération en quête du savoir. Cette dernière est aujourd'hui abandonnée à un triste sort et le constat est sans appel : l’université est en déficit criard de personnels enseignants désormais tapis dans les rouages du pouvoir politique. Or c’est le sens de la mesure des idées qui devrait être privilégié dans une démocratie, les intellectuelles ne doivent pas avoir peur de critiquer s’ils savent faire preuves de vigilance.

La société civile, aujourd'hui moribonde à cause de l’incompétence de notre classe politique, qui par manque d’ambitions et de foi en la cause nigérienne, préfère, plutôt que de rédynamiser le système démocratique pour affronter collectivement les vrais problèmes qui se posent à nous, chercher des soutiens dans les rangs de cette société civile.

Le Niger qui se complait dans ses pratiques politiques d’un autre âge fait un grand tord à lui-même car le monde ne nous attend pas. C’est à nous de réaliser nos rêves en allant au-delà des confusions politiques et autres débats stériles qui participent du retard du développement de ce pays et nous rendre à l’évidence qu’un pays qui ne se respecte pas lui même ne peut pas être respecté des autres. Un peuple qui n’est pas solidaire est fragile, donc en proie à la manipulation extérieure.

Donc je tiens à vous faire remarqué, encore une fois, que je n’ai pas l’impression d’être dans un réquisitoire à charge contre la classe politique nigérienne dans son ensemble, loin s’en faut, mais contre une catégorie d’élites politique et intellectuelle (celles que la doctrine qualifie d’élites-vampires) qui, pour des intérêts personnels et claniques, retardent volontairement la marche historique d’un peuple. Les Nigériens doivent prendre conscience de cet état de fait pour mieux sceller une communauté de destin et insuffler un nouvel espoir à l’ensemble de la population.

Vous brossez un tableau sombre de la situation. Mais il ne suffit pas de rester dans les constats. Quelles sont les solutions que vous préconisez pour faire changer les choses ?

Disons-le tout de suite, les Nigériens doivent être sincères avec eux-mêmes. Ils doivent bannir de leur langage, ce discours politique divisionnisme qui consiste à réduire les citoyens d’une seule et même nation à des simples « gagnants » et « perdants». Ce n’est pas le propre de la démocratie que de se limiter à une simple élection. Le Niger est au-delà de cette vision réductrice qui favorise de plus en plus l’exclusion des compétences nationales au nom de leur choix politique ou idéologique. Ces comportements n’offre aucun cadre pour la citoyenneté républicaine pourtant inscrite dans nos textes fondamentaux.

Il existe plusieurs questions cruciales, liées les unes aux autres, qu’il faut que les Nigériens, tous ensemble, prennent sérieusement en mains, comme une affaire de destinée commune.

La protection et l’application de nos textes fondamentaux doivent être l’affaire de tous et non des seules autorités judiciaires. Ainsi nous pourrons atteindre un idéal de justice sociale qui permettra de porter les citoyens au même niveau responsabilité, dans leur comportements de tous les jours. De ce fait, les deniers publics apparaîtront comme sacrés et dont la protection nécessité l’effort de tous. On ne peut pas demeurer impuissant face aux multiples dilapidations des deniers publics par ceux que le suffrage populaire à porté au pouvoir pour assurer la protection des biens d’Etat. Pour ce faire, il nous faut nous rendre à l’évidence de la défaillance de notre système judiciaire système judiciaire notamment dans ses rapports avec le pouvoir politique. Il n’est pas rare au Niger que des magistrats montent au créneau pour dénoncer l’implication politique dans les affaires judiciaires et parfois les pressions exercées sur les magistrats dans l’exercice de leur fonction. Il nous faut dès lors penser la réforme judiciaire en désintégrant le parquet de la tutelle administrative du ministre de la justice. Pour cela les procureurs peuvent être désormais élus par deux catégories de personnalités : les magistrats et les députés nationaux et sous le contrôle du conseil supérieur de la magistrature. Ce dernier, doit aussi être recomposé incluant en son sein seulement des députés, des magistrats, des professeurs de droit et des syndicats des magistrats. Ainsi, le président de la république et le ministre de la justice n’auront plus de moyen de pression politique sur les juges. Le procureur ainsi élu pour un mandat unique déterminé ( 7 sept ans par exemple) pourra ainsi en toute indépendance exercé son rôle d’avocat de la société. Une fois cette indépendance organique réussie, le risque d’une justice sélective serait inexistant car le magistrat du siège ( donc le juge) devra désormais sa promotion grâce à son mérite plutôt qu’à une accointance politique, il doit répondre à un certain nombre de critères définis dans ce que nous pourrons appeler « la grille d’évolution ». Cette dernière est une sorte de tableau de notation avec un barème préalablement défini par une loi organique qui permet au magistrat de totaliser un certain nombre de point sur un certain nombre d’années pour se voir directement promis à un échelon supérieur.

Lorsque nous aurons réussi cette réforme institutionnelle, l’application effective de nos textes ne souffrira d’aucune difficulté. Nous pourrions ainsi, bannir de nos rang ces « élites-vampires » qui volent allègrement et impunément les biens de l’Etat. Nous pourrions ainsi adopté des nouveaux textes de lois in situant par exemple : l’inéligibilité pour les personnes condamnés pour corruption, enrichissement illicite ou tout comportement immoral en rapport avec les biens publics. Il faut le souligner, les crises politiques au Niger sont favorisées par le sentiment d’impunité que laissent paraître certains comportements des élites. Il est courant de voir des individus aux comportements antisociaux, parfois des repris de justice pour corruption, dégroupements de biens publics, abus de biens sociaux, enrichissement illicite etc. promis à des fonctions politiques dont la gestion nécessite le plus souvent un rapport lucide avec l’argent. Et cela ne favorise pas le sentiment de responsabilité collective face à la dégradation de l’environnement socio-économique et politique et développe ainsi une logique d’irresponsabilité collective.

Ma conviction est que la démarche à entreprendre doit être déterminé par notre perspective souveraine et patriotique. On ne peut pas tout laisser à l’expertise étrangère. Nous devrons être capable de faire face à nos réalités en cultivant une logique de responsabilité collective. Il faut que les experts Nigériens soient pris au sérieux dans tous les domaines et que le budget alloué à la recherche soient définis sur le 1/3 du budget national. Ainsi, très vite, nous pourrons faire face a notre destin. L’essentiel aujourd'hui est que le Niger fixe par lui même sa propre direction. Les Nigériens choisiront ainsi leurs domaines précis de coopération et laissant aussi certains secteurs aux experts nationaux.

Pourquoi, selon vous, le lecteur devait lire votre livre?

Devrais-je vous faire remarqué que c’est un exercice difficile, courageux, et responsable que de prendre publiquement position par des procédés critiques au nom d’un certain nombre de libertés notamment la liberté d’expression, d’opinion, de conscience etc., consubstantielles à l’idéal démocratique que nous voulons pour le Niger.

C’est donc en toute conscience que j’ai fait le choix de l’ essai en tant qu’oeuvre polémique, car il présente l’avantage de présenter des faits sous un angle de vue critique, ce qui n’emporte pas forcément l’adhésion de tous. J’invite donc le lecteur à découvrir la position qui est la mienne dans cet ouvrage pour se forger sa propre opinion et qu’ensemble nous puissions de par nos divergences d’appréciations, ouvrir un débat sur l’orientation politique nationale qu’il nous faudra dans l’urgence fixer. Cette démarche permettra assurément de réunir les Nigériens autour d’une communauté de destins.

Merci.



Pour toute information, contactez-nous au : +(235) 99267667 ; 62883277 ; 66267667 (Bureau N'Djamena)